26 mars 2015

Poètes, travaillons / Poetas, trabajemos



Sollicitée par Aifelle, voici ma contribution...un peu en retard mais ni les poètes ni le printemps ne m'en tiendront rigueur je pense.
Une poétesse espagnole, Gloria Fuertes García (Madrid, 28 juillet 1917 - 27 novembre 1998)

Una contribución al movimiento francés “La primavera de los poetas”. Este año el tema era “La insurrección poética”.




NO PERDAMOS EL TIEMPO

Ne perdons pas de temps

Gloria Fuertes
 
 

Si el mar es infinito y tiene redes,
si su música sale de la ola,
si el alba es roja y el ocaso verde,
si la selva es lujuria y la luna caricia,
si la rosa se abre y perfuma la casa,
si la niña se ríe y perfuma la vida,
si el amor va y me besa y me deja temblando...

Si la mer est infinie et a des filets,
si sa musique sort de la vague,
si l'aube est rouge et le crépuscule vert,
si la jungle est luxure et la lune caresse,
si la rose s'ouvre et parfume la maison,
si la fillette rit et parfume la vie,
si l'amour va et me baise et me laisse tremblante....

¿Qué importancia tiene todo eso,
mientras haya en mi barrio una mesa sin patas,
un niño sin zapatos o un contable tosiendo,
un banquete de cáscaras,
un concierto de perros,
una ópera de sarna?

Quelle importance revêt tout cela,
tant qu'il y aura dans mon quartier une table sans pattes,
un enfant sans souliers ou un comptable qui tousse,
un banquet de déchets,
un concert de chiens,
un opéra de gale?

Debemos inquietarnos por curar las simientes,
por vendar corazones y escribir el poema
que a todos nos contagie.
Y crear esa frase que abrace todo el mundo;
los poetas debiéramos arrancar las espadas,
inventar más colores y escribir padrenuestros.
Ir dejando las risas en la boca del túnel
y no decir lo íntimo, sino cantar al corro;
no cantar a la luna, no cantar a la novia,
no escribir unas décimas, no fabricar sonetos.

Il faut nous en soucier et guérir les semences,
panser les cœurs et écrire le poème
qui nous contamine tous.
Et créer cette phrase qui embrasse le monde entier;
nous les poètes nous devrions arracher les épées,
inventer plus de couleurs et écrire des Notre Père.
Laisser les rires à l'entrée du tunnel
et ne pas dire l'intime, mais chanter en chœur;
ne pas chanter la lune, ni la fiancée,
ne pas écrire des dizains, ni fabriquer des sonnets.

Debemos, pues sabemos, gritar al poderoso,
gritar eso que digo, que hay bastantes viviendo
debajo de las latas con lo puesto y aullando
y madres que a sus hijos no peinan a diario,
y padres que madrugan y no van al teatro.

Nous devons, car nous savons, huer le puissant,
crier ce que je dis, car il y en a assez qui vivent
sous des tôles et mal vêtus et hurlant
et des mères qui ne peignent pas leurs enfants tous les jours
et des pères qui se lèvent tôt et ne vont pas au théâtre.

Adornar al humilde poniéndole en el hombro nuestro verso;
cantar al que no canta y ayudarle es lo sano.
Asediar usureros y con rara paciencia convencerles sin asco.
Trillar en la labranza, bajar a alguna mina;
ser buzo una semana, visitar los asilos,
las cárceles, las ruinas; jugar con los párvulos,
danzar en las leproserías.

Poetas, no perdamos el tiempo, trabajemos,
que al corazón le llega poca sangre.

Orner l'humble d'un de nos vers sur l'épaule;
chanter pour celui qui ne chante pas et l'aider est bien.
Assiéger les usuriers et avec une patience infinie, les convaincre sans dégoût.
Battre le grain dans les champs, descendre dans une mine;
être plongeur une semaine, visiter les asiles,
les prisons, les ruines; jouer avec les enfants,
danser dans les lazarets.

Poètes, ne perdons pas de temps, travaillons,
car peu de sang arrive au cœur.
(Trad:Colo)


31 commentaires:

  1. voilà une réponse à la question de savoir si l'écrivain, le poète, doivent "s'engager" ;-)

    RépondreSupprimer
  2. Un très beau texte.... Merci beaucoup.... Bises

    RépondreSupprimer
  3. Ne perdons pas de temps... C'est vrai, c'est beau.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En ces années si dures, chaque minute compte, c'est si vrai.

      Supprimer
  4. Une dernière strophe saisissante ; ce poème est très beau, merci Colo, je l'ajoute au billet de la semaine dernière.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Grâce à toi, à ce printemps, j'ai lu des tas de nouveaux poèmes, merci Aifelle!

      Supprimer
  5. Ne pas perdre de temps, en donner, belle injonction à "travailler" à plus de justice sociale. Merci, Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bien nécessaire cette remise en ordre sociale!
      Bonne journée Tania!

      Supprimer
  6. C'est très beau et plein d'empathie, merci. Bon weel end, Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Avec plaisir Savarati, bonne fin de semaine à toi aussi.

      Supprimer
  7. Cette femme se résume au prologue de son premier livre " Île Ignoré ":
    " Ma poésie est ici née sans les vêtements de la rhétorique
    Pieds nus, nue, rebelle, sans déguisement.
    Ma poésie se souvient et me ressemble."

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh, merci pour ces vers!
      Oui, elle ne se cache pas...elle a beaucoup écrit pour les enfants et disait ceci:
      ...Un niño con un libro de poesía en las manos nunca tendrá de mayor un arma entre ellas…”
      ...Un enfant avec un livre de poésie dans les mains n'aura jamais, adulte, un fusil entre elles..."

      Supprimer
  8. Oui, chantons tous en chœur, et que chacun aide celui qui ne chante pas ! Pas de solo sans un chœur !!!!
    Un texte très fort ! A chanter haut et fort !!!
    Merci Colo !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le monde serait bien différent alors Enitram!
      Merci à toi, bon week-end

      Supprimer
  9. et ben mazette elle vaut la peine d'être connue cette dame ! elle ne mâche pas ses mots et elle est tout à fait dans l'esprit de ce printemps des poètes

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "La poésie est une arme chargée de futur.." tu te souviens sans doute de ce vers de Celaya chanté par Paco Ibañez.
      Je me demande bien si ses romans pour adultes et enfants, pas seulement sa poésie, sont traduits en français...
      Bonne journée ma belle.

      Supprimer
  10. Des échos par ici :
    "Le cri qui gonfle la poitrine
    De Lorca à Maïakovski
    Des poètes qu'on assassine
    Ou qui se tuent pourquoi pour qui

    Je ne chante pas pour passer le temps"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Faire taire les poètes...merci K.
      Tant en Espagne qu'en Amérique latine, de nombreuses voix poétiques et rebelles. je poursuivrai un temps cette piste.
      À bientôt.

      Supprimer
  11. Une belle insurrection poétique avec des mots qui portent. Et des commentaires qui vont dans le bon sens entre Celaya relaté par Ibanez et Jean Ferrat.
    Je t'embrasse , Colo.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le thème de cette année était si tentant Maïté, j'ai eu le choix en espagnol d'ici ou des "Amériques"!
      Bonne journée à toi, un beso

      Supprimer
  12. Et bien cette Gloria n'y va pas avec le dos de la cuillère !
    Elle est directe, c'est son style.
    Sûr qu'il faudrait remettre des pattes
    à toutes les tables de la terre
    et chausser tous les va-nu-pieds ...
    Mais quelqu'un disait aussi :
    Des roses et du pain ! Dans cet ordre-là.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Une poétesse en colère ce jour-là, aucun doute.
      La famine, la pauvreté extrême engendrées par la guerre civile ont mis plus d'un artiste au travail.
      Des roses pour l'âme, du pain pour le corps...merci Lily.

      Supprimer
  13. "Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent", on ne peut rêver plus parfaite adéquation du poème que tu as choisi au thème de ce 17e printemps des poètes !
    Merci Colo pour la traduction de ce texte magnifique !!!

    RépondreSupprimer
  14. Les poètes ne pourront vous en vouloir, vous qui, plus que de les aimer et les diffuser, les traduisez. Et quel beau texte pour illustrer un printemps de la poésie que j'entends résonner de blog en blog, que nous entendrons tant que notre "peu de sang arrivera au cœur".

    Retour sur Roberto Bolaño : j'ai emprunté "Entre parenthèses" (Christian Bourgeois, près de 500 pages) (des chroniques publiées au Chili, discours sur la littérature) considéré comme une sorte de journal intime. Je ne sais par où commencer; par la présentation de I. Echevarria, certainement; puis je verrai. Il qualifie l'ouvrage de "substance autobiographique pour cet auteur de fiction" dont l'influence sur la narration en langue espagnole, prépondérante, "n'en est qu'à des débuts".

    RépondreSupprimer
  15. Je n'ai pas encore lu "Entre paréntesis" mais l'envie me presse de le faire! Je connais bien, pour en avoir avoir lu des critiques et avis, tous si favorables.
    De là à arriver à écrire un ou plusieurs billets me semble une gageure mais vous êtes très doué pour ce genre d'exercice.
    Son influence est indubitable, oh oui!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vais commencer par le lire, pour un (des) billets(s), on verra bien plus tard.
      Bonne fin de journée.

      Supprimer
  16. Pourquoi faire taire tous ceux qui font de l'art avec l'encre, le fusain, la couleur, les mots, parfois dans le sang ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Poésie engagée de l'époque, la guerre civile, la dictature qui a duré 40 ans et a fait s'exiler tant d'artistes, écrivains, penseurs, chanteurs...ou alors rester et crier.
      Le pays manquait cruellement de couleurs, je suis certaine que tes aquarelles auraient mis du baume au coeur de plus d'un(e)!

      Supprimer